Le paracétamol a-t-il des effets sur nos émotions ? Cette question mérite d’être posée car il s’agit d’un médicament contre la douleur et la fièvre très utilisé en France (Doliprane, Dafalgan, etc.). Il arrive de rencontrer des personnes qui en prennent, en auto-médication, dans les moments de stress ou de déprime, comme si cet antalgique avait des effets contre la douleur morale. Les recherches récentes montrent d’ailleurs de plus en plus de points communs entre les douleurs physique et morale dans leurs mécanismes biologiques et cérébraux.
Des psychologues de l’université de l’Ohio ont donc étudié, chez des étudiants sans problème de santé, les effets du paracétamol sur les résultats d’un test émotionnel (article de Durso et al. dans la revue Psychological Science). Ce test consiste à présenter aux participants un nombre important de photos, qui montrent des scènes plus ou moins fortes au plan émotionnel, qu’elles soient positives (beau paysage, fête familiale, etc.) ou négatives (corps blessés, armes, etc.). Il est demandé aux personnes de dire pour chaque photo à quel point ils la considèrent comme négative ou positive (entre -5 et +5) et à quel point elle produit en elles une réaction émotionnelle (entre 0 et 10). Chaque participant recevait, une heure avant le test, soit une dose de paracétamol (1 gramme), soit un placebo, sans savoir quel était le produit administré, dans une procédure dite en « double aveugle ».
Les résultats montrent que les personnes ayant reçu le médicament sous-évaluent l’intensité des émotions présentées sur les photos par rapport aux personnes n’ayant reçu que le placebo. Elles considèrent comme moins positives les photos plaisantes et moins négatives les photos déplaisantes, et évaluent moins fortement les réactions émotionnelles produites par l’ensemble des images. Ceci suggère un possible effet général de filtrage des stimulations émotionnelles sous paracétamol, aussi bien pour les émotions positives que négatives, ce qui pourrait être recherché par certaines personnes souffrant d’émotions trop fortes.
Ces résultats sont naturellement à prendre avec précautions, car l’étude a été réalisée uniquement chez des étudiants (82 au total), et la méthode d’évaluation choisie est classique et fiable mais elle ne reflète qu’une partie très subjective et limitée des réactions émotionnelles. Même si l'effet mesuré peut avoir des répercussions sur les émotions vécues dans la vie de tous les jours, avec une atténuation globale de leur résonance perçue, il est très difficile de l'interpréter en termes de pathologie ou de traitement. En tout ça, il n'est pas du tout possible d'en déduire un éventuel effet anxiolytique ou antidépresseur du médicament. Par ailleurs, les différences obtenues entre les deux groupes (paracétamol et placebo) sont, certes, significatives au plan statistique mais elles sont relativement minimes en intensité. Il se peut qu’elles soient négligeables chez certaines personnes et plus sensibles chez d’autres, mais cette étude ne permet pas d'aller plus loin sur ce point. Enfin, il n’existe à ce jour aucune explication pharmacologique claire à cet effet d’atténuation émotionnelle du paracétamol, mais il est probable que des recherches vont se poursuivre dans cette voie.