Il était une fois un parasite, nommé toxoplasma gondii, responsable de la maladie du même nom, la toxoplasmose, bien connue des amis des chats et des futures mamans. Ce petit microbe
malintentionné est pourtant l’acteur d’une bien belle histoire, qui peut nous faire en tout cas réfléchir sur les liens entre nos peurs et le fonctionnement notre cerveau.
Monsieur Gondii doit parvenir à tout prix à se loger dans
les intestins d’un chat, car c’est le seul endroit où il peut se reproduire (eh oui, c’est spécial, mais c’est comme ça…). Les microbiologistes disent ainsi que le chat est « l’hôte
définitif » du parasite, son Nirvana en quelques sortes. Pour y parvenir, plusieurs solutions s’offrent à lui, pour finalement se faire avaler par le petit félin. La plus maligne est de se
faire abriter par une proie habituelle du chat, par exemple une petite souris ou un rat (que l’on appelle « hôte intermédiaire »). Mais ces rongeurs se méfient du chat, car ils
disposent d’un logiciel implanté de série, en fait un instinct hérité de la sélection naturelle, qui les éloignent automatiquement du prédateur ancestral à moustache.
C’est là que toute l’ingéniosité du parasite rentre en
action (ou, là aussi, la magie de la sélection naturelle) : il est capable de modifier le comportement du rongeur dans lequel il s’est introduit, afin de faire disparaître sa peur des chats,
voire même la transformer en force d’attraction. Infecté, le rat ou la souris perd son instinct de peur, et court presque se faire croquer tout cru.
Pour comprendre les mécanismes de ce mystérieux
comportement suicidaire, des chercheurs ont étudié les effets du toxoplasma gondii dans le cerveau des souris. Ils ont d’abord vérifié que toutes les
fonctions du cerveau du rongeur infecté étaient bien préservées : il se nourrit normalement, dort et se déplace sans problème, sa mémoire fonctionne bien, et toutes les peurs habituelles
continuent à s’exprimer. Il n’est donc pas devenu dément, et ne se laisse pas non plus dévorer par épuisement. La modification du comportement du rongeur concerne très spécifiquement la peur des
chats, et semble liée à la présence du parasite dans un endroit très précis du cerveau, l’amygdale. Cette petite structure ronde au cœur du cerveau (des animaux comme des êtres humains), est le centre de pilotage des émotions, et notamment de la peur face au danger. Chez
les rongeurs, elle est très étroitement connectée aux capteurs de l’odorat, très importants dans ces espèces. Les analyses montrent que le parasite, en infectant les neurones de ces régions, peut
déprogrammer la crainte vis-à-vis des chats et de leur odeur, et même créer une attraction féline fatale comme la nomme joliment les biologistes. Le mécanisme de cette déprogrammation est encore
méconnu, mais il peut s’agit de la destruction de certaines connexions, ou encore de la sécrétion de substances ayant un effet sur les transmissions entre les neurones. Une étude très récente a montré cette année que les rongeurs infectés pouvaient ressentir en fait une attirance
de nature sexuelle envers l’odeur du chat et de son urine…
Gardons nous bien, naturellement, d’analogies trop faciles
avec la peur chez les humains, nous ne sommes pas des rats… Mais il est troublant de constater que nos craintes « réflexes », souvent ancestrales et animales, à l’égard d’espèces
potentiellement agressives et venimeuses (serpents, araignées, félins, etc.) peuvent trouver leurs sources dans les mêmes régions cérébrales que chez la souris. En effet, nous connaissons le rôle
joué par l’amygdale dans les peurs et les phobies, avec l’illustration notamment des cas de maladies détruisant ces régions cérébrales et faisant disparaître les comportements d’appréhension.
Beaucoup d’études d’imagerie cérébrale confirment que c’est l’amygdale qui déclenche le signal de danger face à un objet effrayant.
Nous avons encore beaucoup de choses à comprendre pour
maitriser et surtout mieux contrôler les phénomènes liés aux peurs et aux phobies, mais cette petite histoire de parasite nous rappelle que nous faisons bien partie du règne animal et que, malgré
toute notre modernité, la psychologie humaine doit être abordée avec beaucoup de modestie scientifique.