Morosité ou stress extérieurs obligent, la tendance est au cocooning, bien au chaud chez soi. L’attachement au nid est presque aussi important que l’attachement aux autres. On ne compte plus les émissions de télévision sur l’aménagement intérieur, l’achat de maisons ou d’appartements, les travaux de rénovation, etc. Il faut dire que les réseaux sociaux, les consoles diverses et les home-cinémas multiplient les occasions de loisirs à domicile, seul ou à plusieurs, ce qui incite à faire de son logement un lieu de confort à son image.
Une autre tendance psychosociale lourde pointe son nez depuis quelques années, comme en témoignent de nombreux livres et plusieurs succès de librairie : le besoin de ranger. La magie du rangement, de la japonaise Marie Kondo est un best-seller mondial, basé sur une promesse quasi philosophique de parvenir à révolutionner sa vie en rangeant ses placards. L’auteur y explique que vivre dans une maison ordonnée influe de manière positive sur tous les autres aspects de sa vie. Et elle propose diverses techniques de coaching ménager : décider d’actions de mise en ordre radicales, pas seulement des petits pas, et jeter beaucoup, structurer l’espace en réservant une place pour chaque objet, etc. Et aussi changer ses habitudes de manière définitive, c’est-à-dire ne pas retomber dans un nouveau bazar après le grand rangement, comme on risque l’effet yoyo de la reprise du poids après un régime…
Mais peut-on ranger, et surtout nettoyer, sa vie comme on fait place nette dans sa chambre ou son salon ? Il est sans doute illusoire d’espérer se débarrasser de ses casseroles et de ses vieux dossiers non résolus en les jetant à la poubelle sur un coup de tête et en classant ce qui reste dans des boîtes toutes neuves et bien décorées. L’accompagnement d’un vrai thérapeute est souvent utile, mais reconnaissons que restructurer et clarifier son espace de vie peut aider à tourner une page, en matérialisant un nouveau départ quand on le juge nécessaire. La conservation acharnée de nombreux objets-souvenirs, souvent teintée de nostalgies voire de regrets douloureux, peut faire obstacle à la marche en avant en nous tirant sans cesse vers le passé. Et le fouillis des objets peut entretenir un certain désordre mental, ou au moins entamer l’estime de soi d’un fait d’un sentiment de culpabilité.
L’erreur serait cependant de vouloir généraliser une méthode supposée valable et reproductible pour tous. La « psychodiversité » des tempéraments et des personnalités fait que certains d’entre nous ont besoin d’ordre et d’esthétisme dans leur environnement, et d’autres absolument pas. Comme les adolescents complètement insensibles au capharnaüm de leur chambre, certains adultes se sentent aussi bien dans un environnement en désordre que dans un logement parfaitement rangé. Et aucune doxa, vaguement moralisatrice, ne pourra les atteindre et en tout cas leur faire du bien. Comme il est illusoire de rendre tout le monde heureux en incitant chacun à se lever une heure plus tôt, pour profiter de la « magie du matin », alors que nous avons tous des chronobiologies différentes. Il faut donc surtout apprendre à se connaître soi-même, à comprendre ses propres besoins pour se donner les objectifs qui conviennent. De l’ordre dans sa vie, oui, mais pas sur ordre !