Des événements récents, largement médiatisés, ont posé la question des prescriptions « hors AMM » (Autorisation de Mise sur le Marché). Il s’agit de l’utilisation de médicaments pour traiter des affections qui ne sont pas celles pour lesquelles ils ont été conçus et validés initialement. Ce fut le cas du Médiator, mais aussi plus récemment de la vrai-fausse pilule Diane, traitement de l’acné utilisé longtemps comme contraceptif. Dans ces deux cas, l’alerte a été donnée en raison d’effets toxiques, ce qui a conduit à une réelle prise de conscience des risques de ces prescriptions « hors piste », consacrées par l’usage mais sans validation scientifique ni administrative. Des exemples inverses, comme celui du baclofène (relaxant musculaire dont les effets contre l’alcoolisme sont apparus récemment) incitent aussi à la réflexion, car porteurs de progrès potentiels.
La procédure d’autorisation puis de remboursement des médicaments suit une logique scientifique rigoureuse, qui consiste à évaluer les effets positifs et négatifs d’un nouveau produit, et d’en comparer l’intérêt par rapport aux traitements existant. Cette procédure permet d’assurer que les médicaments sont commercialisés à bon escient, avec des risques raisonnables par rapport aux bénéfices attendus. Mais une fois que le médicament est disponible, les médecins peuvent le prescrire théoriquement comme ils le souhaitent et le jugent utile, dans les conditions officielles ou en dehors de l’AMM. Dans ce deuxième cas, ils doivent cependant en avertir le patient, en le prévenant des risques potentiels et en justifiant son choix par des circonstances et des connaissances particulières. En cas d’accident ou de contestation, le médecin est alors entièrement responsable de sa décision, et doit en assumer les conséquences s’il ne peut pas faire la preuve de son bien-fondé. Un médecin hospitalier peut alors plus facilement justifier son choix par « l’état de la sciences » (publications des travaux de recherche), ou par une réflexion en équipe. La contre partie des prescriptions hors AMM est que les patients ne peuvent normalement pas être remboursés de l’achat du médicament, l’ordonnance devant signaler que la pathologie traitée n’est pas celle reconnue officiellement.
On voit bien les avantages de cette marge de manœuvre laissée aux prescripteurs, pour adapter leurs décisions à la diversité des cas individuels et pour faciliter la découverte de nouvelles options thérapeutiques. Ce fut assez fréquent en psychiatrie, avec des progrès venus de la sagacité de certains médecins : découverte des effets antidépresseurs de certains antibiotiques, de l’action préventive des anticonvulsivants dans les troubles bipolaires, ou de l’effet positif des antidépresseurs contre les TOC ou les attaques de panique. De telles découvertes de terrain peuvent faire évoluer grandement la médecine, mais il n’est plus concevable aujourd’hui de ne pas les valider par des études systématiques, et cela le plus vite possible. Comme on l’a vu avec le Médiator ou Diane, le risque est trop important de se reposer sur une simple « impression » d’efficacité, sur quelques cas, ets de négliger des risques de toxicité qui ne sont apparents que sur de grands nombres de prescriptions.
Malheureusement, l’obstacle réel à cette démarche rationnelle est la question des moyens. La démonstration de l’efficacité et de l’innocuité d’un médicament nécessite des études longues et couteuses. Le lancement de nouveaux produits justifie de la part des firmes pharmaceutiques des investissements financiers très lourds, car les bénéfices en retour peuvent être très importants, mais il n’en est pas de même pour les molécules anciennes vendues au prix des génériques. Il faudrait donc alors que les pouvoirs publics soutiennent ces recherches, ce qui n’est pas très réaliste dans la période actuelle. Pour des raisons à la fois de précaution (justifiée) et de restrictions budgétaires, certains progrès thérapeutiques risquent donc de ne pas pouvoir apparaître. Sauf quand la voix des médecins et/ou des patients se fait suffisamment entendre, comme c’est le cas en ce moment avec le baclofène sur lequel des études ont pu être lancées.